Quand le décideur européen joue le jeu des Big techs…

Publié le 19 09 2022 | Mis à jour le 09 11 2024

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En 2013, le rapport d’information de la sénatrice Catherine Morin-Desailly intitulé « L’Union européenne, colonie du monde numérique ? » décrivait un contexte où l’Europe était « en passe de devenir une colonie du monde numérique, […] dépendante de puissances étrangères ». Nous y sommes depuis déjà quelques années, et la période de crise sanitaire que nous connaissons n’a fait qu’affirmer nos dépendances à des acteurs techniques devenus aujourd’hui très puissants. Les Big techs, dont les plus connues sont Amazon, Microsoft et Google, ne sont plus de simples pourvoyeuses d’outils numériques, mais se rendent aujourd’hui indispensables aux technologies socles de télécommunication.

Depuis 2016, elles construisent leurs propres câbles sous-marins entre les États-Unis et l’Europe, et tracent même de nouvelles routes sur le pourtour du continent africain.

Elles remplacent ainsi peu à peu les telco’s – entreprises de télécommunication – qui n’ont plus les moyens d’investir dans ces grands chantiers. Elles se positionnent également sur la couche logicielle de la technologie 5G, qui repose sur le principe de slicing, soit la distribution « intelligente » du réseau, et rendent de ce fait dépendants les opérateurs utilisant leurs services. Enfin, les nouvelles technologies de maillage satellitaire à orbite basse, et plus généralement l’industrie du spatial, sont aujourd’hui intrinsèquement liées à ces technologies informatiques au sol. En développant les technologies de machine learning, les Big techs se sont positionnées sur le créneau de l’analyse d’imagerie spatiale, de traitement et d’acheminement de l’information numérique des satellites LEO – low earth orbit – qui en plus d’être rentable, repose également sur le principe de mise en dépendance favorisant une approche monopolistique sur le long terme.

Ces acteurs ne cessent d’accélérer leur développement, et reposent aujourd’hui sur une capitalisation boursière hors norme. Par exemple, Microsoft est à lui seul valorisé à 1972 milliards de dollars, soit une augmentation de 60 % en 1 an, ce qui équivaut au total des entreprises du CAC 40 (2057,2 milliards d’euros).

Les pays européens ont largement contribué à l’expansion des Big techs : elles évoluent depuis trente ans dans un environnement décisionnel et idéologique favorable à une accélération de leur développement. Les questions de choix d’un outil numérique ou d’un prestataire technique ont souvent été reléguées au rang de sujet opérationnel et budgétaire, dans une logique utilitariste ne prenant pas en compte les aspects stratégiques, la gestion des risques et les spécificités de ces technologies. L’objectif premier reste la transformation numérique bien plus que l’autonomie stratégique. Les Big techs se sont souvent développées en autocratie dans la zone grise d’un droit du numérique balbutiant, et ont ainsi disposé d’un avantage temporel considérable.

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