Lionel Ploquin, administrateur des données des Finances publiques : “La qualité et l’exhaustivité des données sont les fondements mêmes d’un État plateforme performant”
Publié le 19 09 2022 | Mis à jour le 08 11 2024
Lionel Ploquin officie depuis plus d’un an en tant qu’administrateur des données de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP).
Il a été interrogé sur l'ouverture et la valorisation des données à la DGFIP, ainsi que sur l'État plateforme, lors des Rencontres des Acteurs Publics organisées au Conseil d'État le 9 octobre dernier. Il nous fait également découvrir sa mission au quotidien dans une entrevue avec Next Inpact.
- Interview réalisée par Next Inpact lors du salon de la data de la "Digital week" qui s'est tenu à Nantes du 14 au 24 septembre 2017
Concrètement, quel est le quotidien de l'administrateur des données de la DGFiP ?
Pour l'instant, il n'y a pas de journée type ! La fonction est encore jeune en tout cas dans les ministères alors qu'elle est déjà mature dans le secteur bancaire.
Mais pour vous répondre, une première partie de mon temps est consacrée à la connaissance et à la documentation des données existantes. C’est une fonction qu'on pourrait qualifier de « data stewart ». Deuxièmement, je travaille à l'ouverture de données en étant notamment en charge de la mise en œuvre de la loi Lemaire. Ensuite, je participe à l'incubation de projets de valorisation des données, par exemple autour de la lutte contre la fraude ou de la connaissance de nos usagers.
Et puis une fraction importante de mon temps est consacrée aux problématiques de sécurisation des données sensibles en lien avec le RGPD. Je ne m'occupe donc pas uniquement de l'Open Data, j'ai aussi une fonction qui proche de celle d'un DSI classique sur les flux de données.
Quels sont vos principaux « faits d'arme », un an après votre nomination ?
Un an, ça passe très vite... Dans le cadre la loi Lemaire, j'ai donc beaucoup écrit et expliqué en interne pour faire comprendre ce texte, quelles étaient les exigences qu'il portait, afin de mieux préparer son application.
D'autre part j'ai travaillé en mode collaboratif avec de nombreuses équipes pour faire un gros travail de cartographie des flux de données entrants et sortants, de façon totalement agnostique, c'est-à-dire quels que soient nos clients externes et les supports utilisés. Çela allait de la sollicitation d'un guichet pour obtenir un renseignement au transfert massif de données de machine à machine, de nos API, en passant par l'ouverture de données publiques.
Je dispose aujourd’hui d'un très bel outil qui me permet d'avoir une cartographie de tous les flux et échanges de données entrants et sortants de la DGFiP. Il n'est pas exhaustif, mais j'ai le cadre d'une vision consolidée de la façon dont nous sommes sollicités et pourquoi, ce qui va nous permettre de faire un travail de rationalisation sur ces échanges. C'est un gros chantier dont on est en train de tirer les fruits.
Cet outil est-il purement interne ou a-t-il vocation à être rendu public ?
Une partie sera exportable, probablement l'essentiel. Mais parmi les données qui seront exposées, toutes ne seront pas in fine en Open Data. On saura que certaines données existent, mais parce qu'elles portent des informations personnelles ou qu'elles entrent dans le champ des secrets légaux ou des exceptions à la communicabilité, elles ne seront pas divulguées. Ce qui n'empêche pas qu'on connaisse leur existence.
Peut-on imaginer que demain, l'on sache exactement quelles sont les sommes versées ou perçues par l'État, via le logiciel Chorus, comme le réclament certains militants de l'Open Data ?
Il n’est pas nécessaire de demander à ouvrir le « coffre-fort » de Chorus, dont les données sont produites par l’Agence pour l'informatique financière de l'Etat. En réalité, les données comptables de la DGFiP font exactement le même office. Elles reposent sur un réseau de comptables publics qui assurent les rentrées, notamment fiscales, mais aussi les dépenses (marchés publics, dépenses de fonctionnement et d'investissement...).
Chorus est un opérateur de la comptabilité. Les données transitent ensuite par la DGFiP et rentrent dans l'escarcelle du ministère qui pilote les programmes de la LOLF.
Ces données, comme l'ensemble des données publiques sont dans le champ de la loi Lemaire en tout état de cause.
Nous avons récemment pu constater que le ministère pour lequel vous travaillez ne respectait ses nouvelles obligations d'Open Data « par défaut ». Un commentaire ?
Les ministères mais également l'ensemble des acteurs publics, doivent s'approprier ce nouveau paradigme de l'ouverture par défaut des données et des algorithmes. La tâche est immense, parce que des documents potentiellement publiables, il y en a des km linéaires et des téraoctets…
Donc la question c'est un peu par quoi commencer ? Quelles données ont le plus de valeur pour le corps social et la « multitude »? Quels moyens consacre-t-on à la mise en ligne de ces documents ?
N’êtes-vous pas frustré de voir que vous avez le droit avec vous mais que l'ouverture est lente ?
Frustré non, mon rôle est de sensibiliser à la fois sur l'intérêt de s'ouvrir et le risque notamment d'image à ne pas le faire assez vite. . C'est pour çette raison que le réseau d’administrateurs ministériels des données sur lequel travaillent Etalab etl’Administrateur général des données, est important. Il permettra une certaine émulation et de faire un retour sur ce qui est fait dans d'autres ministères. C'est extrêmement riche et pertinent.
Quel regard portez-vous sur cette proposition portée par Henri Verdier de créer un réseau ministériel d'administrateurs des données ?
C'est une excellente initiative. C'est très utile, ça nous permet de nous rencontrer, d'échanger, de voir quels sont les progrès respectifs, de mutualiser sur nos techniques et nos méthodes.
Il y a notamment une réflexion sur ce que doit être une fonction type d'administrateur des données. Parce qu'aujourd'hui, c'est extrêmement hétérogène. J'ai des collègues qui ont un champ d'action différent du mien : plus large sur certains aspects, plus restreint sur d'autres. Je crois qu’il est utile d'homogénéiser.
Quelles difficultés rencontrez-vous au quotidien dans votre travail ?
Il y a un problème de conscientisation de ce qu'est la data : pourquoi cet objet a une valeur particulière et, au-delà de ça, pourquoi cet objet doit être ouvert à l'extérieur. Et ça, c'est assez nouveau dans une administration à qui on demande à juste titre d'être garante du secret fiscal et du secret professionnel.
Il y a des secrets légaux qui doivent être absolument protégés et par ailleurs une culture d'ouverture émergente. Tout l'enjeu est de montrer que les deux cultures sont compatibles et ne s'opposent pas.,
Il y a donc beaucoup de pédagogie à faire.
En revanche, tout ce qui a trait à la valorisation de la donnée rencontre un écho favorable . Je n’ai pas de difficultés à expliciter l'intérêt d'un désilotage de nos données dans des cas d'usage de lutte contre la fraude fiscale, ou s’agissant de la connaissance du parcours de nos usagers et de leurs attentes.
Comment la DGFiP entend-t-elle appliquer l'article 4 de la loi Numérique s'agissant des explications à fournir aux citoyens lorsque des décisions individuelles sont prises grâce à des algorithmes ?
Je travaille sur ce dossier avec notre service juridique et nos différents métiers. Mais ce n'est pas simple.
On voit très bien comment ça peut se concrétiser dans le cadre d'Admission Post-Bac. Sauf que le droit fiscal, c'est autre chose. Il colle à la loi. Et à chaque fois qu'il y a un espace où la loi n'est pas suffisamment précise, il y a immédiatement une instruction qui est prise (et qui est publiée au Bulletin officiel des finances publiques, qui est opposable). Les cas sont très différents.
On est en train de réfléchir sur ces sujets. On va collaborer avec la mission Etalab pour voir comment on peut mettre en œuvre cet article 4 avec nos algorithmes.
Sauf que vous êtes censés mettre en œuvre cette réforme depuis le début du mois...
Il y aura un rattrapage. Nous savons que nous devons le faire, mais l'administration doit aussi gérer des contraintes, notamment budgétaires. .
On peut comprendre les attentes du citoyen et nous ne les sous-estimons pas. Nous envoyons par ailleurs des signaux qui montrent notre engagement : ainsi nous venons de communiquer pour promouvoir l'ouverture du code source de l'impôt sur le revenu ainsi que la publication du plan cadastral informatisé [Il s'agit d'un jeu de données de référence dans le cadre du service public de la donnée] et des données sur les impôts locaux. Il s'agit dans ces trois cas d'ouvertures très emblématiques de nos algorithmes et de nos données.
Table ronde avec Lionel Ploquin : les nouveaux métiers de la donnée (Digital week Nantes, 19 septembre 2017)