« L’intelligence artificielle va remettre en question l’ascension au sein d’une profession »
Publié le 05 03 2024 | Mis à jour le 20 11 2024
L'intelligence artificielle ne va pas seulement remplacer les "petites mains". Elle va aussi fragiliser le rôle des travailleurs expérimentés.
C’est l’une des peurs de notre siècle : l’intelligence artificielle va-t-elle remplacer les travailleurs ? De nombreuses études se montrent alarmistes. Le laboratoire sur l’intelligence artificielle LaborIA travaille également sur les effets de l’IA sur le travail. Mais préfère une approche empirique. Yann Ferguson, son directeur scientifique, en tire des conclusions plus subtiles que celles que les gros titres mettent en avant. Interview.
Vous avec travaillé sur la différence entre les perceptions de l’IA et les observations terrain. Quels enseignements en avez-vous tiré ?
Yann Ferguson : Nous avons interrogé 250 dirigeants d’entreprises. 200 n’avaient pas encore travaillé sur un projet IA et 50 avaient des projets d’IA plus ou moins avancés. Ceux qui n’avaient pas engagé de projet se préoccupaient surtout de la déshumanisation du travail. Et s’interrogeaient sur la fragilisation des relations humaines. Ceux qui ont déjà une connaissance concrète de l’IA envisagent beaucoup moins cette menace. Leurs préoccupations concernent plutôt son impact sur l’autonomie des collaborateurs. Et la formation : comment assurer la pérennité des savoir-faire existants et leur valeur ?
Ces interrogations sont-elles légitimes ?
Y. F. : Oui car les dirigeants partent du postulat que l’IA va effectuer des tâches simples, ce qui fragiliserait les nouveaux entrants dans le métier. Or elle va en fait accélérer la montée en compétences de ces nouveaux entrants. S’il y a donc quelque chose à regarder avec vigilance, c’est la façon dont l’IA va affecter l’ascension au sein d’une profession. Ce qui était intéressant dans un métier, c’était de progresser et se distinguer de la personne que l’on était juste après le diplôme. Une progression qui se traduisait notamment dans le salaire, parce que l’expérience avait de la valeur. Mais aussi par un statut, celui d’expert, avec le prestige associé. Or l’IA remet en question ce postulat. Elle peut fragiliser les experts en accélérant la montée en compétences des nouveaux arrivants dans le métier. Et être synonyme de progression plus lente ou plus faible pour ces derniers.
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